Architecture et littérature

L'architecture compose nos vies: nous nous y mouvons, nous la parcourons, nous la contemplons, elle nous enchante, parfois nous inquiète ou nous hérisse.

Mais elle est aussi objet de réflexion, support de l'imagination et de fictions.

Cette rubrique évoquera quelques lectures qui lui réservent une place particulière...

Georges Perec, Les choses, Julliard, 1965

Les choses sont le premier ouvrage publié par Georges Perec. Il y propose une réflexion sur la possibilité du bonheur dans la société de consommation des années 60. Jérôme et Sylvie, deux jeunes psychosociologues, voient dans le luxe, la possession des choses matérielles et le paraître la véritable source de leur bonheur. Cependant, au fil du temps, l’ennui finit par les gagner et ils imaginent dans le départ pour la Tunisie la promesse d’un nouveau bonheur. Avant de connaître une nouvelle désillusion et de rentrer en France, les deux jeunes gens trouvent, trop tard, la maison de leur rêve…

 

            C’est pourtant en Tunisie qu’ils virent, un jour, la maison de leurs rêves, la plus belle des demeures. […]

            Mais la maison était un paradis sur terre. Au centre d’un grand parc qui descendait en pente douce vers une plage de sable fin, une construction ancienne, de style local, assez petite, sans étages, s’était développée d’année en année, était devenue le soleil d’une constellation de pavillons de toutes grandeurs et de tous styles, gloriettes, marabouts, bungalows, entourés de vérandas, disséminés à travers le parc et reliés entre eux par des galeries à claire-voie. Il y avait une salle octogonale, sans autres ouvertures qu’une petite porte et deux étroites meurtrières, aux murs épais entièrement couverts de livres, sombre et fraîche comme un tombeau ; il y avait des pièces minuscules, blanchies à la chaux comme des cellules de moines, avec, pour seuls meubles, deux fauteuils sahariens, une table basse ; d’autres longues, basses et étroites, tapissées de nattes épaisses, d’autres encore, meublées à l’anglaise, avec des banquettes d’embrasure et des cheminées monumentales flanquées de deux divans se faisant face. Dans les jardins, entre les citronniers, les orangers, les amandiers, serpentaient des allées de marbre blanc que bordaient des fragments de colonnes, des antiques. Il y avait aussi des ruisseaux et des cascades, des grottes de rocaille, des bassins couverts de grands nénuphars blancs entre lesquels filaient parfois les stries argentées des poissons. Des paons se promenaient en liberté, come dans leurs rêves. Des arcades envahies de roses menaient à des nids de verdure.

G. Perec, Les choses (Julliard, 1965)

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